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REDEMPTION1

Page history last edited by Fausta88 14 years, 9 months ago

REDEMPTION

 

De Sword'n'Quill ((Susanne Beck))

 

SwordnQuil@aol.com

 

Traduction : Fanfan

 

 

 

 

 

Première partie

1a

 

 

 

Avertissement : les personnages de cette nouvelle sont ma création personnelle. C'est vrai, il s'agit d'une 'uber'. D'aucuns pourront y trouver une ressemblance avec les personnages que vous connaissez et aimez qui, eux, appartiennent à PacRen et aux Studios Universal.

Violence et langage grossier : Ouais, les deux. Et en quantité considérable, pour être honnête. Nous sommes dans une prison, et là où se trouvent des criminels, il y a de la violence et des mots grossiers.

Les sous-entendus (subtext) : Ouais, il y en a aussi. Ce texte traite, tant bien que mal, de l'amour et de l'expression physique de cet amour entre deux femmes adultes. Il y a quelques scènes explicites dans cette histoire, mais j'ai essayé de les restituer avec autant d'élégance que possible, de manière à ne choquer personne. Faites moi savoir si j'ai réussi.

Le feuilleton : lorsque j'ai commencé à écrire et à publier sur le web, je m'étais promis à moi-même ainsi qu'à tous ceux qui me lisaient, que je ne publierais jamais un travail qui n'est pas terminé. Je déteste les feuilletons, normalement. Mais… cette nouvelle, qui est finie depuis une semaine, est devenue très longue et des lecteurs m'ont fait savoir qu'ils ne lisaient pas de nouvelles car ils n'avaient pas le temps de s'asseoir et de lire des œuvres gargantuesques. Cette œuvre est achevée (depuis peu) et sera publiée à intervalles réguliers pour que les gens qui aiment lire par petits bouts comme ceux qui aiment lire en entier, puissent le faire.

Dédicace : comme toujours, j'aimerais remercier l'homme qui me consacre chaque jour une partie de son temps libre pour lire les épreuves que je lui envoie. Le meilleur bêta - lecteur de la planète : Mike. J'aimerais également remercier mes autres bêta - lecteurs : Candice (qui a lu la nouvelle complète et a apporté son soutien chaque nuit), Rachel et Alex. Un merci spécial à Sulli qui transforma un très mauvais jour en un jour merveilleux par son cadeau généreux. Je voudrais également remercier Mary D pour avoir lu et publié ceci sur son site. Mais principalement, je remercie les lecteurs de me lire et de me faire part de leur enthousiasme. C'est ce qui me fait m'installer derrière ce satané ordinateur et pianoter sur les touches avec autant de plaisir. Les réactions, si quelqu'un en éprouve l'envie, sont toujours reçues avec reconnaissance et appréciées. Vous pouvez me joindre à SwordnQuil@aol.com.

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Note de la traductrice : j'ai choisi de ne pas 'franciser' les noms propres, prénoms ou surnoms d'autant qu 'il y avait parfois des jeux de mots dans le texte original. Il m'a semblé idiot de traduire 'Ice' (= Glace), surnom de notre uber - Xena ; quant à Angel (= Ange), elle est parfois appelée 'my Angel' (jeu de mot sur mon 'Ange') mais Ange me fait plus penser à un mafioso corse qu'à une uber - Gabrielle, alors…

J'aimerais remercier mes bêta - lectrices Fryda et Katell sans oublier notre éditrice de choc, j'ai nommé Kaktus et ses marmottes (Oups ! Il ne fallait pas dire que les marmottes assurent le secrétariat, LOL) ; j'ai réalisé à ma grande honte que je ne l'avais pas fait sur les précédentes traductions ! Enfin, je vous souhaite autant de plaisir à lire que moi à traduire… ;o)

 

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Mon nom est Angel, et par ici, je suis connue comme la femme qui peut vous procurer tout ce dont vous avez besoin. 'Ici', en fait, c'est le centre correctionnel pour femmes 'Rainwater', plus connu sous le nom du 'Bog' parce que nous sommes cachées en lieu sûr dans une jolie forêt de cèdres tout près d'un marécage de canneberges (NDLT : arbuste des tourbières des régions froides, à baies rouges comestibles.) " Bog " peut donc se traduire par marécage, mais en fait, le mot exact est plus argotique encore : chiottes, goguenot, etc … Nous avons décidé de garder Bog tout simplement.). C'est probablement plus que vous ne voulez savoir, mais je me suis promis à moi-même lorsque j'ai commencé à écrire ceci que je ferais de mon mieux pour ne rien oublier et c'est pourquoi vous connaissez maintenant le nom de notre petite communauté.

 

Comme vous pouvez vous en douter, mon véritable nom n'est pas Angel, mais j'ai arrangé un certain nombre de peines de cœur et cela m'a valu le nom sous lequel je suis connue ici. En réalité, les noms sont importants au Bog. Pour exister, vous devez réussir à passer un certain nombre de rites initiatiques métaphysiques dont les règles et les acteurs ne sont pas vraiment connus tant que vous ne les avez pas réussis. Un jour, vous êtes appelée par votre vrai nom et rossée dès que l'occasion se présente ; le suivant, on vous accorde une espèce de statut social et les abus semblent diminuer. Oh, cela ne stoppe jamais complètement, à moins que vous ne soyez vraiment chanceuse ou vraiment forte, mais au moins, vous pouvez fermer les yeux la nuit en étant raisonnablement sûre que votre corps sera à peu près dans le même état au réveil qu'avant de vous endormir. Et croyez-moi, dans un endroit comme celui-ci, c'est vraiment important.

 

Ils disent qu'on m'a baptisée 'Angel' à cause de mon air innocent. Et, en me regardant dans le miroir, je dois reconnaître que c'est assez vrai, bien que je puisse vous dire que le visage qui me fait face n'est pas le même que celui qui est arrivé ici il y a cinq ans. A l'époque, mes cheveux étaient vraiment longs et plus roux que blonds. Mon visage était sans rides et la meilleure description de mon apparence, je pense, était 'jeune adulte empotée'. Maintenant, mes cheveux sont courts et blonds, mon visage est marqué par des rides ajoutées par le soleil et les soucis aussi bien que par l'âge, et mon corps possède des muscles qui rendraient jaloux un prof d'aérobic.

 

Le temps passé ici m'a certainement changée et pas uniquement dans le meilleur sens du terme. Mais je me plais à penser que j'ai été capable de conserver ne serait-ce que cette innocence juvénile que j'avais apportée avec moi. Et croyez-moi lorsque je vous dis qu'il était très difficile de la conserver ici. J'ai vu au Bog des femmes de bien devenir des assassins sans pitié. J'ai vu des femmes fortes finir leur vie au bout d'une ceinture. Et ça, sans la grâce de Dieu, je le crains.

 

 

 

Pour être totalement honnête, je suppose que je dois vous dire pourquoi je me suis retrouvée bouclée aux premières loges. En 1978, j'ai été reconnue coupable de meurtre. Celui de mon mari, pour être précise. Maintenant, la plupart des femmes au Bog vous diraient qu'elles sont là par erreur. Je ne le ferai pas. J'ai tué mon mari. Oh, je n'en avais pas l'intention, mais comme n'importe qui vous le dira, un mort est un mort.

 

Mon histoire est à peu près la même que n'importe quelle autre. Une fille sans histoire dans une petite ville, qui désespère de partir, et qui agrippe les basques du premier mec qui quitte la ville. Mon billet se trouva être l'amoureux que j'avais au lycée ; un gentil garçon, un peu lourdaud, qui trouva un travail dans une aciérie à Pittsburgh. Il cherchait de la compagnie et je voulais partir, aussi nous avons pris la fuite, trouvé le premier Juge de Paix qui a bien voulu nous marier sans le consentement de nos parents, et nous avons emménagé dans un studio meublé à Pittsburgh. Si vous pouvez faire abstraction des régiments de cafards qui partageaient l'appartement avec nous, des voisins bruyants et des coups de feu au milieu de la nuit, nos six premiers mois passés ensemble comme un couple d'authentiques adultes furent assez agréables. J'ai dégotté un emploi de secrétaire dans un entrepôt en ville tandis que mon mari travaillait la nuit à l'usine. Nous ne nous voyions pas souvent, mais à cette époque, j'étais tellement soulagée d'avoir échappé à l'ombre écrasante de la vie dans une petite ville que je n'avais pas le temps d'être solitaire.

 

Alors Peter, mon mari, commença à rentrer de plus en plus tard de son travail. Il me disait qu'il faisait quelques heures supplémentaires pour pouvoir nous acheter des articles de meilleure qualité, et je le croyais. Puis plusieurs jours passèrent sans que j'entende parler de lui et j'ai commencé à suspecter que les choses ne se passaient pas comme elles l'auraient dû. Ensuite il rentra à la maison après des bringues qui incluaient le sexe et les boissons à bon marché et j'ai compris que j'avais fait une très grosse erreur. Mais comme beaucoup de jeunes femmes, et peut-être que vous êtes l'une d'elles, j'étais trop honteuse pour tendre la main vers ma famille afin qu'elle m'aide. J'ai toujours été optimiste et forte dans mes convictions. Je croyais pouvoir le changer. Bien sûr, j'avais tort.

 

Ce que j'appelais essayer de changer les habitudes fantasques de mon mari pour des meilleures, Peter l'appelait se quereller. Il revenait à la maison saoul, je m'en prenais à lui et les hostilités démarraient. Ce n'était pas méchant au début. Principalement des hurlements. Puis il commença à devenir vraiment un homme 'marquant' avec ses poings et j'ai commencé à exercer mes talents de menteuse en herbe pour expliquer comment une porte de placard pouvait heurter votre visage exactement au même endroit trois semaines de suite.

 

Maintenant je sais qu'un grand nombre d'entre vous secoue la tête et se demande pourquoi je n'ai pas simplement quitté ce salaud. Je me suis moi-même posé la même question plus de fois que je ne peux les compter depuis que je suis ici. Tout ce que je peux vous dire, ainsi qu'à moi-même, c'est que je n'ai pas de bonnes réponses. J'étais jeune et naïve, et effrayée. Mais plus que tout, j'essayais de m'accrocher à tout ce qui pouvait me dire que je n'avais pas foutu ma vie en l'air.

 

Un soir, Peter est rentré à la maison en puant vraiment comme un porc et en voulant accomplir le 'devoir conjugal' avec moi. Lorsque j'ai refusé, il m'a plaquée sur le lit et il a commencé à arracher mes vêtements. J'en ai profité. J'avais pris l'habitude de dormir avec une batte de base-ball à mes côtés pour me protéger des intrus. Je n'aurais jamais pensé en avoir besoin contre mon propre mari. Mais je l'ai fait. Dieu sait que je ne voulais pas le tuer, seulement l'assommer suffisamment longtemps pour m'enfuir. Mais lorsque ce bois est venu dans ma main, eh bien… je ne peux pas vraiment l'expliquer. C'était comme si j'avais su exactement le manier comme une arme, et je l'ai fait. Je peux encore me souvenir du bruit que cela a fait lorsqu'il s'est écrasé sur son crâne. Cela me rend encore physiquement malade d'y penser. Il est devenu mou et je l'ai poussé pour me dégager. Il était mort avant de toucher le sol. Du moins c'est ce que déclara le médecin légiste lors du procès, et je n'avais aucune raison de ne pas le croire.

 

Dire que j'étais complètement accablée par ce qui s'était produit serait exagéré. A cette époque, malgré tout, tout cela paraissait quelque peu irréel, comme dans un mauvais film de série B. J'avais atteint la croisée des chemins ; un endroit où j'allais prendre l'une des décisions les plus importantes de toute ma vie. Devais-je fuir ? Nous vivions dans un très mauvais voisinage. Avec de la chance, la police croirait à un simple vol avec effraction qui avait mal tourné. Ou devais-je rester et assumer le fait que j'avais pris une vie humaine ?

 

La maturité est une chose bizarre. Vous ne savez jamais quand elle va entrer dans votre vie. La plupart des gens l'acquièrent au goutte à goutte au fur et à mesure qu'ils avancent en âge. Ils ne savent pas qu'ils sont matures jusqu'à ce qu'ils se surprennent à faire à d'autres les mêmes remarques que celles que leur adressaient leurs parents. C'est un moment épouvantable. En ce qui me concerne, la maturité a seulement marché jusqu'à moi et m'a tapé sur l'épaule. Un moment j'étais une jeune femme larmoyante qui avait simplement tué son mari pour se défendre. L'instant suivant, j'étais une adulte épanouie, avec un téléphone dans la main, prête à assumer la responsabilité de mes actions.

 

La maturité n'est pas toujours quelque chose de recommandable, toutefois. Elle n'arrive pas avec un manuel d'instructions, et croyez-moi, elle devrait. Lorsque la police est venue chez moi, j'ai fait la pire chose que j'aie jamais faite. J'ai avoué.

 

Maintenant je m'en souviens, j'ai grandi dans une petite ville où le pire crime dont j'aie jamais entendu parler était celui de la vieille Madame Simpson qui avait eu une contravention pour avoir roulé du mauvais côté de la route. J'avais été habituée à croire que le policier était notre ami et que nous devions toujours être honnêtes avec lui. Ainsi, c'était ce qui m'a accompagnée.

 

On m'a passé les menottes et je me suis retrouvée à l'arrière d'un car de police avant que la stupidité de mes actions ne me vienne complètement à l'esprit.

 

Cependant, je m'accrochais à cet optimisme naïf pour lequel j'étais bien connue, même ici, dans un endroit aussi proche de l'enfer où je n'avais jamais espéré aller. Je pensais que les preuves étaient claires, du moins de mon point de vue. Mes habits étaient déchirés en lambeaux et j'avais des contusions, anciennes et récentes, qui faisaient que mon corps était transformé en ce que je pensais être le témoignage muet des exactions de Peter lorsqu'il était saoul.

 

Je n'avais pas les moyens de prendre un avocat, et j'étais trop humiliée pour appeler mes parents, aussi ils m'en ont commis un d'office. C'était un vieux bonhomme qui arborait toujours une barbe mal rasée quelle que soit l'heure à laquelle il venait me voir. Son costume était lustré, sa chemise toujours tachée, et il sentait ces bonbons à la menthe rayés de rouge que les gens sucent pour masquer l'odeur du whisky et des cigarettes. Il avait un gros grain de beauté sur le lobe de l'oreille droite et toutes les fois qu'il m'écoutait parler, il le frottait constamment, comme s'il essayait de l'enlever.

 

Malgré tout, j'avais confiance en lui et en son grand attaché-case rutilant et je lui racontais combien ma vie était devenue un enfer chaque fois que je le pouvais. Il semblait toujours égaré, comme s'il écoutait un son que lui seul pouvait entendre. Tandis que je parlais, il griffonnait sur son grand bloc note jaune en utilisant un porte-mines dont la mine cassait invariablement au moment le plus important de ma déclaration. Nous passions alors le reste du temps à en chercher un autre. Il semblait si mauvais que même les gardes de la prison du comté dans laquelle j'étais enfermée pour la durée du procès ne pouvaient dissimuler leur regards de sympathie lorsqu'ils venaient lui apporter un autre crayon.

 

Les jours entre mon arrestation et le procès se traînaient, interminables. Excepté parler à mon avocat, tout ce que je pouvais faire c'était m'asseoir dans ma minuscule cellule sur mon minuscule lit de camp et essayer de déchiffrer les graffitis des gens qui avaient été incarcérés avant moi. Les écrits dans les prisons vont du profond au sublime et si jamais un jour je sors d'ici libre, j'espère rédiger une thèse sur ce sujet.

 

Je ne veux pas entrer dans les détails en ce qui concerne le procès. Il suffit de savoir que puisque j'écris depuis les foutues salles du Bog, c'est que le verdict n'a pas été celui que j'avais espéré. Mon corps contusionné et mes habits arrachés, dont j'avais présumé qu'ils plaideraient en ma faveur, furent au contraire utilisés comme la preuve de la lutte vaillante d'un homme contre la rage d'une femme jalouse et dangereuse. Mon argument de self-défense s'effritait sous mes yeux et avant que je réalise, j'étais une criminelle, reconnue coupable de meurtre au second degré.

 

La partie de moi qui avait été élevée dans la religion catholique accueillit le verdict et la condamnation qui lui correspondait, la réclusion à perpétuité, comme une juste pénitence pour mes péchés. L'autre partie devint rouge de rage. Et croyez-moi quand je vous le dis, la couleur de la rage est le rouge. Tout vif et luisant, comme un sang fraîchement versé, et impossible de penser après qu'elle vous ait piégé dans son emprise avide.

 

 

 

Si le rouge est la couleur de la fureur, la couleur du désespoir est le vert. Un vert industriel, comme dans la peinture écaillée qui orne l'intérieur de ma nouvelle demeure, le centre correctionnel pour femmes 'Rainwater'. C'est la couleur des espoirs perdus et des rêves anéantis. C'est la teinte mate et monochrome de la perte de l'innocence.

 

Durant les huit premières années après que j'aie passé les portes en acier cabossées pour entrer ici, cette couleur est devenue plus une bénédiction qu'une malédiction, mais lorsque j'ai posé les yeux sur elle pour la première fois, j'ai éprouvé cette étrange sensation d'une vague immense, verte, vaseuse et violente, qui se serait dressée et aurait foncé sur moi, m'emportant avec elle pour échouer, brisée, au fond de sa demeure océanique. D'une étrange façon, cette sensation m'était presque familière, comme si cela m'était arrivé auparavant dans une vie antérieure inconnue.

 

Bon, normalement, je ne suis pas le genre de personne qui croit au karma et aux vies antérieures ou à la projection astrale, mais si, du plus profond de mon subconscient je peux retirer du bien-être dans ce naufrage, je suis plus qu'heureuse de faire avec. Cette sensation m'a permis de rester saine d'esprit au cours des premiers mois de ma nouvelle incarcération.

 

Lorsque je reviens sur les quatre pages que j'ai déjà écrites au milieu des bruits métalliques et des hurlements d'une nuit humide à la prison, je réalise que je suis partie sur une tangente incroyable. Je ne suis pas sensée être au centre de cette histoire, pas vraiment. Mais, comme je contribue pour une grande part à ce récit, étant votre interlocutrice 'dans le secret', pour ainsi dire, je vais poursuivre dans cette voie en espérant que vous ne trouverez pas cela terriblement stupide et ennuyeux à l'extrême.

 

 

 

Comme je le disais avant cette longue digression, je suis connue ici comme la personne qui peut tout vous procurer. Maintenant je sais que cela me donne l'air d'être une femme importante sur le campus, et, d'une certain façon, cela doit me permettre d'exercer une espèce d'attraction sur les gardes comme sur les prisonnières, mais surtout cela signifie que beaucoup de mes codétenues, celles-la mêmes qui autrement aimeraient voir quelles formes elles peuvent donner à mon nez en le tordant, viennent au contraire vers moi avec une minuscule lueur de respect dans les yeux. Maintenant, malgré la perversion de mon crime, au fond je suis toujours Madame "Petite Ville d'Amérique". Ce que cela signifie, en bon anglais, c'est que je ne procure que ce qui peut être procuré par le citoyen moyen, et ceci d'une manière parfaitement légale.

 

Ainsi, s'ils ne vous ont pas apporté votre marque de cigarettes à l'intendance, ou si vous avez besoin d'arranger une visite conjugale avec votre vieux mari, ou n'importe quoi parmi des centaines d'autres petites choses, je suis la personne que vous venez voir. Parce que je n'ai pas vraiment besoin d'argent au pénitencier, je me contente d'inscrire un prix légèrement supérieur au coût. Une fille doit faire sa vie d'une manière ou d'une autre, et pour moi, celle-ci en vaut bien une autre. J'ai su établir de bons rapports avec les gardes, et les prisonnières qui auraient normalement eu plaisir à prendre pour victime une femme comme moi m'évitaient à tout prix. Ainsi cela allait plutôt bien pour moi, comme vous pouvez le supposer.

 

 

 

Je suppose, pour compléter ce récit, que je dois revenir un peu en arrière, une fois encore, et vous en dire un peu plus sur la structure hiérarchique de cette prison d'état particulière. Au cours des huit années que j'ai passées ici, j'ai vu deux directeurs honorer de leur présence le grand bureau. La première, une femme du nom de Antonia Davis, était le rêve de chaque auteur, s'il ou si elle essayait d'inventer un directeur stéréotypé pour une reprise de l'un de ces épouvantables films des années 50 dans le genre 'Femmes en prison'. Ses cheveux blonds étaient toujours pris dans le plus sévère des chignons et ses lèvres étaient toujours exagérément maquillées avec un rouge qui convenait plus aux voitures de pompiers et aux belles de nuit qu'à une passion rougissante. Elle portait ses uniformes au moins deux tailles en dessous, comme si elle voulait nous montrer par la très grande taille de ses "atouts" à quel point elle était qualifiée pour être à la tête du pénitencier. Elle était également connue pour son appétit vorace, en faveur des jeunes blondes nubiles tout juste débarquées des rues. En tant que membre de ce club privé, j'ai toujours trouvé quelque peu miraculeux de n'avoir jamais attiré son attention. De ce point de vue, je me considère bien heureuse, puisque ses conquêtes ne s'en sortaient pas vraiment bien lorsqu'elle se fatiguait d'elles.

 

Antonia était la chérie des gangs de la prison, un sujet que j'approfondirai avec moult détails dans cette missive. Elle recherchait à tout prix à gagner leur faveur et c'était réciproque. Pour l'instant, il suffit de dire que lorsque Antonia en avait fini avec sa dernière prisonnière du jour, elle balançait les restes à ses chouchous de la prison. Ce qui advenait après qu'elle soit passée n'était pas joli - joli.

 

La chute de la directrice survint lorsqu'elle laissa ses hormones prendre le pas sur son esprit et qu'elle choisit d'aimer puis d'abandonner la mauvaise prisonnière.

 

Vous vous souvenez peut-être, si vous étiez en ville depuis assez longtemps, de l'histoire d'une dénommée Missy Gaelen, la fille d'un Sénateur qui fut arrêtée au cours d'une gigantesque descente de police alors qu'elle achetait de la mauvaise drogue au mauvais dealer. Ni l'argent du puissant Sénateur Gaelen ni son prestige ne purent faire sortir sa fille du traquenard dans lequel elle s'était fourrée elle-même, bien qu'il ait réussi à faire réduire sa condamnation à deux ans dont un avec sursis au lieu des cinq à dix ans encourus. Rien, quoi qu'il en soit, ne pouvait l'empêcher d'être incarcérée au Bog et par conséquent de se trouver sous le regard appréciateur et rapace d'une Antonia Davis.

 

Cette Missy était une beauté, cela ne fait aucun doute. Grande et mince, elle avait une masse de cheveux blonds clairs qui cascadaient en ondulations magnifiques dans son dos et des yeux verts profonds qui semblaient se fondre dans les vôtres comme s'ils examinaient les tréfonds de votre âme avant de trouver que vous ne faisiez pas l'affaire et de continuer son chemin. Elle était tellement accro aux galères qui avaient brûlé son existence que sa beauté avait pâli en raison de son besoin féroce.

 

La Directrice Davis jeta très vite son dévolu sur Missy, découvrant le chemin le plus rapide pour atteindre le cœur de la jeune beauté et échangeant des drogues contre des faveurs sexuelles. Au bout de deux mois, la liaison durait depuis plus longtemps qu'avec aucune autre conquête d'Antonia, mais en fin de compte, elle se lassa de sa concubine et elle la balança dans la fosse avec ses requins favoris, les défiant de libérer leurs plus bas instincts. Les raclées à répétition et les brutalités sexuelles n'eurent pas raison de la jeune femme. Plus exactement, ce fut la brusque perte de ses drogues qui lui coûta la vie. Elle fut signalée manquante à l'appel un soir, et le matin suivant, elle fut retrouvée dans la blanchisserie, froide et rigide comme les draps qu'elle avait enroulés autour d'elle dans un cauchemar hallucinatoire dû au manque de drogue. La cause de la mort fut facilement découverte et la directrice Antonia Davis, qui avait souillé l'innocent comme le coupable, partit auréolée de gloire ; elle fut trouvée à son bureau avec son arme de service, quelque chose qu'elle aimait utiliser dans ses jeux de domination sexuelle, serrée dans un poing froid, mort.

 

En remerciement pour n'avoir pas usé de son influence considérable alors qu'on voulait étouffer toute l'affaire, le Sénateur Gaelen fut autorisé à choisir le nouveau Directeur. Et il le fit, nommant un homme qui avait autant d'expérience dans l'administration d'un système pénitentiaire que moi dans celle d'un élevage de poulets. Autant dire aucune. Ce qu'il devait avoir, cet homme du nom de William Wesley Morrison, était la responsabilité de Pasteur de la plus grande église Pentecôtiste de Pittsburgh et de ses environs.

 

 

 

William Morrison est un homme qui affiche sa religion, comme un insigne de sa fonction, sur sa pochette. C'est également l'homme qui, grâce à ses talents d'orateur, avait été capable de faire passer le plus dur au Sénateur et de le mener au Sénat avec peu de voix d'avance. Morrison avait toujours exprimé un fervent désir de 'desservir' un groupe de 'prisonniers impies' et ainsi, le sponsoring étant ce qu'il est dans cette région, ce petit service lui fut rendu fort aimablement par le Sénateur de Pittsburgh comme paiement des services rendus.

 

Un grand coup de balai bouleversa tout au Bog. Disparus les ornements individuels chers aux détenues. Des combinaisons orange vif, destinées à nous démarquer du reste de la société comme le 'A écarlate' (NDLT : marque d'infamie cousue sur les vêtements - ou marquée au fer rouge ? - pour dénoncer une femme adultère), devinrent le nouvel uniforme des damnées. Les cellules furent nettoyées de fond en comble, les objets personnels enlevés et remplacés par des crucifix et des bibles. Un cadre rappelant les dix commandements était accroché dans chaque pièce de la prison sans exception, pour être sûr que nous connaissions exactement chaque règle que nous avions transgressée. Le maquillage, les bijoux, les radios et les télévisions furent confisqués. Les heures de repas furent précédées de prières et le dimanche, le service religieux était obligatoire, peu importe que vous croyiez ou non en Dieu.

 

Ce n'était pas innocent, en dépit des apparences les plus rassurantes. William Morrison, à peine installé dans son grand bureau, s'est mêlé de beaucoup de choses dans la prison et au fil des ans, si la rumeur est exacte, il s'est passablement enrichi. Convoiter le bien d'autrui n'était apparemment pas un commandement que Morrison avait besoin de suivre, et si mes sources de renseignement sont fiables, il devrait bientôt avoir un réveil brutal. Cela aussi sera creusé plus tard dans cette histoire, et j'ajouterai que ce sera avec un grand plaisir.

 

Au-dessous du Directeur, il y avait les surveillants et contrairement aux autres prisons, notre groupe était assez extraordinaire. La surveillante chef était une femme du nom de Sandra Pierce et pour les prisonnières, elle était une bénédiction. Grande et baraquée, avec des bras qu'un body-builder lui envierait, sa présence physique seule suffisait à impressionner même les détenues les plus dépravées. Sous cette carapace se cachait un cœur compatissant, attentif et prévenant. Ses yeux noisette étaient toujours brillants, comme si elle riait à une plaisanterie qu'elle seule connaissait. Ses collègues suivaient son exemple à la lettre ou risquaient le renvoi ou pire. Mais, les réductions dans le système pénitentiaire étant ce qu'elles sont, il n'y avait simplement pas assez de gens qui voulaient affronter quotidiennement le danger pour le maigre salaire qui leur était offert.

 

 

 

Et par conséquent, au bout du compte, ce sont les prisonniers qui font la loi.

 

Les gangs dans les prisons sont une réalité dans beaucoup d'établissements de par le monde, et le Bog ne faisait pas exception. Les gangs sont constitués en fonction de la race, avec les Afro-Américains en tête pour le nombre, suivis de près par les blancs, les plus petits groupes des Hispaniques et des Asiatiques complétant le quartet.

 

Contrairement aux croyances populaires, les prisonniers ne sont pas tous membres d'un gang. Le tiercé de tête de chaque gang est constitué de pillards, de violeurs et compagnie. La plupart des autres sont des idolâtres et des parasites pour qui faire partie d'un gang est le seul moyen d'avoir une espèce de statut qu'ils n'auraient jamais eu autrement. Au bas de l'échelle se trouvent les 'proies'. En disant cela, je pense aux jeunes femmes qui n'ont pas été capables, quelle qu'en soit la raison, de trouver une place dans la société carcérale et ainsi deviennent quotidiennement la proie des autres détenues. La plupart de ces femmes rejoignent les gangs pour être protégées des violences physiques, sans réaliser que leurs protecteurs s'avèrent souvent pires que leurs cauchemars. Ces femmes aux yeux creux, qui ressemblent tant aux victimes des camps de concentration de la deuxième guerre mondiale, glissent au travers de l'univers carcéral, se contentant d'exister jour après jour, soumises aux plus viles perversions que leurs soi-disant protecteurs trouvent bon d'assouvir sur elles.

 

Jeune, innocente, naïve et sur le point d'aller à fond dans une déprime suicidaire, j'étais destinée à devenir l'une de ces femmes. Seul le hasard me fit rencontrer une femme extraordinaire qui me sauva de mon destin. Bien que cela remonte à cinq ans maintenant, je me souviens des faits comme si la scène s'était déroulée pas plus tôt que ce matin.

 

 

 

Je courais. Courir comme si ma vie en dépendait, ce qui était le cas, je suppose. Les restes du plateau de mon petit déjeuner étaient détrempés sur mes vêtements de coton et mes poumons me brûlaient du besoin de prendre une respiration profonde. J'ai toujours été rapide, mais les pas lourds de mes trois poursuivantes me disaient que je n'avais pas beaucoup de temps pour chercher à m'échapper.

 

"On va te choper, garce !"

 

"Iccciiii, petit, petit, petit !"

 

Les cris de joie sarcastiques résonnaient dans les halls déserts, et j'avais envie de crever mes tympans juste pour empêcher les vibrations de marteler mon cerveau paniqué.

 

Mes yeux repérèrent un doux rayon de lumière venant d'une porte juste au-dessus, et j'en fis mon phare, courant vers lui de toutes mes forces. La porte fut finalement en vue et je m'y engouffrai, trébuchant sur un manche à balai et rampant à genoux sur le sol ciré, le souffle encore coupé. "S'il vous plaît," je suppliai le personnage aux cheveux gris assis derrière le bureau, "aidez-moi. Elles vont me tuer."

 

La femme leva les yeux de son livre et son visage se fendit d'un sourire amical. "Qu'est-ce qui ne va pas, fillette ? On croirait que tu as vu un fantôme."

 

"Elles vont me tuer. S'il vous plaît, vous devez m'aider. Pitié, je vous en supplie. Je ferai n'importe quoi."

 

Le bruit de pas précipités et de souffles haletants se rapprocha, puis stoppa pile derrière la porte de mon refuge. La plus grande de mes poursuivantes, une femme du nom absurde de Mouse (= Souris, NDLT), franchit la porte, avançant vers moi avec un sourire carnassier. "Je te tiens, gamine."

 

La femme aux cheveux gris se leva lentement de son bureau, toute trace de sourire envolée de ses joues rondes. "Sors d'ici, Mouse. Tes amies aussi, ou vous allez découvrir ce que ça fait d'être pourchassées."

 

Le sourire disparut du visage de Mouse. J'ai failli sourire en voyant soudain son air effrayé. Malgré tout, elle élargit ses épaules et avança le menton d'un air de défi. "Tu ne peux pas me faire mal, vieille femme."

 

"Non ? Essaie."

 

J'aurais juré que j'avais vu les canines de mon sauveteur grandir. Je fermai les yeux, les frottai, finalement je décidai qu'il s'agissait d'une illusion d'optique.

 

La voix de Mouse montra un brusque accès de mauvaise humeur. "Elle était à nous en premier. Nous l'avons vue. Nous avons des droits sur elle."

 

Je sentis un frisson de peur vriller mes intestins, songeant que je tombais de Charybde en Scylla. Je gardai mes yeux rivés sur la silhouette replète de la femme aux cheveux gris.

 

"Elle est chez moi maintenant, Mouse. Tu ferais mieux de te souvenir quelles limites tu peux ou non franchir. Maintenant pars et emmène tes amies avec toi."

 

Après avoir fixé le sol un long moment, Mouse capitula finalement, mais pas sans une dernière pique à mon intention. "Tu ne pourras pas toujours te cacher derrière ses jupons, petit poisson. Un jour, tu devras sortir de ta planque. Et nous t'attendrons." Elle m'adressa un sourire diabolique, tourna les talons et rassembla ses copines d'un mouvement de la tête.

 

Je ne pus retenir le soupir de soulagement qui s'échappa de mes lèvres et, en entendant cela, un sourire amical éclaira à nouveau le visage de mon sauveteur. Quittant sa place derrière le bureau, elle ajusta son châle noir plus étroitement sur ses épaules, puis tendit une main douce pour m'aider à me remettre sur mes pieds. J'acceptai l'aide avec reconnaissance. "Merci," dis-je avec toute la gratitude qui était en moi, du plus profond du cœur.

 

"Oublie ça, gamine. Je suis toujours heureuse de chasser ces brutes." Ajustant ses lunettes demi-lune, elle regarda mes vêtements crépis de nourriture. " Qu'as-tu fait qui justifie de décorer ces habits avec un petit-déjeuner si tôt le matin ?"

 

Je sentis que mes joues rougissaient, je pouvais sentir la chaleur descendre jusqu'à mes orteils. "Je… heu… Je suppose que j'ai choisi la mauvaise table pour m'asseoir ce matin."

 

J'étais au Bog depuis seulement deux semaines et quatre jours s'étaient écoulés depuis que j'avais quitté le quartier d'isolement dans lequel toutes les nouvelles détenues étaient placées en arrivant à la prison. Comme je n'avais pas d'amies pour m'expliquer les règles, j'étais descendue pour déjeuner avec les autres et, après avoir rempli mon plateau avec de la nourriture insipide, j'avais trouvé une table vide dans un coin sombre, m'imaginant manger et observer tranquillement. Mouse et ses amies avaient rapidement changé mon opinion que quelque chose pouvait être simple au Bog.

 

Mon protecteur me regarda avec un sourire connaisseur. "Cela m'est arrivé une fois ou deux. On devrait fournir un manuel d'instructions à ceux qui arrivent dans cet endroit." Son sourire s'élargit. "Je vais peut-être en écrire un. Je deviendrais à coup sûr la chérie des petites nouvelles." En se redressant, elle prit à nouveau ma main dans une étreinte légère, chaleureuse et me conduisit à une table longue, marquée par l'usage, tirant un siège bancal et m'y poussant doucement. "Assieds-toi ici et je vais t'apporter du thé. Ensuite nous pourrons parler comme des adultes civilisées. Et crois-moi, jeune dame, ce sera un agréable changement."

 

Tandis que la femme âgée s'éloignait, marchant en direction d'une plaque chauffante bien cachée et complètement illégale, je jetai mon premier regard sur la pièce qui était mon refuge. Pour la première fois, je réalisai que j'avais atterri dans la bibliothèque de la prison. Trois des quatre murs de la petite pièce étaient occupés du sol au plafond par des rayonnages, lesquels étaient bourrés de toutes sortes de livres, la plupart écornés et abîmés, avec des dos cassés et des couvertures manquantes. Prenant une profonde inspiration, je laissai l'odeur réconfortante de l'encre d'imprimerie et du papier moisi entrer dans mes poumons, calmer mon cœur affolé. J'ai toujours aimé la bibliothèque, même lorsque j'étais une petite fille. Je m'arrangeais pour y passer la plus grande partie de mon temps libre lorsque j'étais plus jeune, plongée dans des lectures qui n'avaient rien de commun avec celles qu'une fille vivant dans une petite ville aurait dû avoir.

 

Revenant à la table, ses mains serrant des tasses fumantes de thé parfumé, la femme âgée posa les tasses, tira sa chaise et assit son corps opulent à côté de moi. "Quel est ton nom, fillette ?"

 

Lorsque je lui répondis, ses yeux noirs pétillèrent malicieusement. "Tu es là pour avoir tué ton mari avec une batte de base-ball, exact ?"

 

Mes yeux devaient être devenus de la taille de soucoupes. "Oui, Comment le savez-vous ?"

 

"On ne peut pas garder un secret bien longtemps ici, fillette. Tu apprendras bien assez vite que le téléphone arabe est l'une des sources d'information les plus précises au Bog. Bien mieux que le journal." Elle sourit à nouveau, plaçant une main sur la mienne. "Nous sommes donc des âmes sœurs. J'ai enterré quatre de mes maris et j'étais en train de m'occuper du cinquième quand ils m'ont arrêtée."

 

J'eus le souffle coupé par la surprise, complètement horrifiée que cinq hommes aient voulu abuser d'une aussi charmante vieille dame. Je l'imaginais assise dans un rocking-chair dans une vieille et grande maison avec une flopée de petits-enfants la suppliant de raconter encore une histoire, leurs visages et leurs mains barbouillés de miettes de cookies faits maison. Ma deuxième leçon vint rapidement ce fameux jour. Les apparences peuvent être trompeuses.

 

Le sourire de la femme devint cruel. "J'ai peur de n'avoir pas été aussi audacieuse que toi. L'arsenic était mon arme de prédilection. Pas aussi rapide, mais suffisamment efficace néanmoins."

 

L'horreur devait être visible sur mon visage, car la femme perdit son sourire. Ses yeux devinrent froids. "Ote-toi de la tête que tu es meilleure que moi, fillette. J'ai entendu les histoires selon lesquelles tu ne voulais pas tuer ton petit ami. Le simple fait que je l'ai voulu te rendrait meilleure que moi ? Nous sommes toutes deux coincées ici à perpète, non ?"

 

D'une étrange manière, les mots de la femme étaient sensés et, après un moment, je laissai ma répugnance s'écouler de moi, adressant un faible sourire à ma bienfaitrice avant de lever ma tasse pour siroter mon thé. A mi-chemin de mes lèvres, je marquai une pause, ma main tremblait.

 

La femme rejeta sa tête en arrière et rit, longuement et fort. "Ne te fais pas de souci, ma chérie. Je ne cherche pas à t'ajouter à mon tableau." Levant le bras, elle utilisa un coin de son châle en laine pour tamponner ses yeux pleins de larmes. "De plus, tu es plus agréable à regarder qu'aucun de mes maris ne l'a jamais été."

 

Et c'est comme ça que j'ai rencontré la tristement célèbre Corinne Weaver, connue sous le nom de la Veuve Noire ; une femme qui se mariait pour l'argent et tuait pour le plaisir.

 

Dans le milieu de la soixantaine, Corinne avait passé plus de trente ans derrière les barreaux lorsque nous nous sommes rencontrées la première fois, ce qui faisait d'elle la plus vieille et la plus ancienne détenue du Bog. Elle se distinguait aussi car elle avait été la première prisonnière transférée après que la prison d'abord pour hommes avait été convertie en prison pour femmes à la fin des années quarante. Corinne était une femme froide et calculatrice qui n'avait jamais exprimé de regrets ou de remords pour ses crimes. En effet, elle était connue pour dire, et souvent, que si elle en avait l'opportunité, elle recommencerait. Elle prenait plaisir à tuer et cela lui faisait gagner de l'argent.

 

Mais elle pouvait aussi être gentille, attentionnée, aimable et extrêmement loyale. Bien qu'elle admette joyeusement que l'amendement était une cause perdue avec quelqu'un comme elle, elle était une fanatique lorsqu'il s'agissait d'amender les autres. La plupart des détenues du Bog n'étaient pas des meurtrières. C'était plutôt des jeunes femmes qui avaient commis des erreurs stupides. Leurs courtes peines les réformaient ou les rendaient pires qu'elles n'étaient au départ. C'était le choix des détenues. Et Corinne s'était fait un devoir sacré de chercher et de trouver autant qu'elle pouvait, pour être sûre qu'elles feraient le bon choix.

 

Chaque jour, la bibliothèque voyait au moins deux ou trois jeunes femmes étudiant pour passer leur bac parmi les papiers moisis et les hurlements des détenues. Il y en avait peu, comme moi, qui étudiaient pour suivre les cours d'université. Oui, depuis ce récit, votre humble serviteur est la fière détentrice d'une licence ès lettres en littérature américaine et il ne me manque plus que six unités de valeur pour décrocher un mastère de gestion. Maintenant, avant que vous vous demandiez quel usage un assassin comme moi peut faire d'un mastère de gestion, laissez moi vous rappeler ce que je disais précédemment. Je suis une optimiste. Et un jour, je quitterai cet endroit. Maintenant, étant donné que j'ai déjà profité de la générosité de vos impôts pendant cinq longues années, que préférez-vous avoir ? Moi, une jeune femme valide, intelligente vivant le reste de sa vie aux crochets de l'état ou moi, une jeune femme valide, intelligente contribuant à votre économie locale ? Réfléchissez bien.

 

Corinne était une préférée des gardes, toujours capable de prêter une oreille attentive lorsque les problèmes avec les maris, les amants, les enfants ou les finances abondaient. Bien qu'elle ait tué ses propres maris, elle croyait fermement au pouvoir de l'amour et était connue pour donner des conseils avisés dans les domaines où le cœur était impliqué. Ses conseils ont sauvé un grand nombre de mariages à ce jour. Elle avait également le génie de la finance, se débrouillant d'une manière ou d'une autre pour garder la fortune obtenue par le meurtre de ses maris. Cette fortune grandissait de derrière les barreaux, faisant d'elle la plus riche femme de Pittsburgh, une pensée qui lui procurait une jubilation sauvage au fil des ans. Pour Corinne, cela n'avait pas d'importance de ne pas pouvoir dépenser son argent. Tout ce qui importait c'était de contourner le système et de se classer en tête.

 

Bien qu'elle vieillisse et qu'elle ait tendance à s'affaiblir, malgré sa stature plutôt rondelette, Corinne était considérée comme une détenue intouchable. Sa bibliothèque était inviolée et toutes celles qui y venaient étaient sous sa protection aussi longtemps qu'elles restaient sous la protection de ces quatre murs. A part susciter le respect de la plupart des prisonnières et de toutes les gardiennes, on disait aussi (et j'ai depuis, pour mon plus grand plaisir, confirmé cette rumeur) qu'elle bénéficiait de la protection absolue d'une personne influente qui, bien qu'elle n'ait pas été dans la prison à cette période, se tenait au courant de la vie des détenues. Toucher à Corinne, c'était mourir lentement et personne ne s'y serait risqué.

 

Bien que je sois quelque peu sous sa protection, cette couverture ne s'étendait pas assez pour me protéger complètement. Ce dont je suis absolument sûre c'est que j'étais loin du compte en ce qui concerne les mauvais traitements qui m'étaient destinés, mais une 'légère' volée de coups n'est pas une partie de plaisir, comme je suis sûre que vous le devinez.

 

 

 

C'était le lendemain du jour où j'avais rencontré Corinne pour la première fois et je revenais après une journée passée en son agréable compagnie. J'avais même déjeuné dans l'enceinte chaude de la bibliothèque. Le sandwiche au thon et le thé qu'elle m'avait offerts étaient la meilleure nourriture que j'avais mangée depuis des mois et je léchai chaque miette, je bus chaque goutte offerte, pour le plus grand amusement de ma nouvelle amie.

 

J'avais passé une longue journée d'hiver emmitouflée dans le monde merveilleux des Hauts de Hurlevent, un livre que je n'avais jamais pu lire au lycée, et je pensais à ce que je venais de lire. Ceci explique que je n'ai pas perçu ce qui se passait autour de moi et qu'ainsi, j'ai violé une autre loi sacrée en prison : " Toujours être sur ses gardes. "

 

Je retournais à ma cellule, inconsciente des regards malins, railleurs que me lançaient mes codétenues. A ma grande surprise, la cellule était vide. Ma compagne de cellule, une jeune femme qui avait pris cinq ans nets d'impôts pour avoir frappé avec une barre de fer un passant qui avait envahi son 'coin', était habituellement vautrée sur sa couchette, le nez collé sur la télévision que nous avions pu garder. Les jours précédents, j'en avais bien plus appris sur les intrigues des différents feuilletons télé que ce que je n'avais jamais voulu savoir. Vérifiant la pendule à la tête de ma couchette, j'ai remarqué que c'était l'heure de son émission préférée, et je consacrai un bref instant à m'étonner de son absence. Ne voulant pas quitter le monde imaginaire que j'avais créé pour moi à la bibliothèque, j'ai éludé le problème et je me préparais à aller me coucher pour faire un petit somme avant d'aller dîner.

 

Un grincement de caoutchouc sur le carrelage me fit tournoyer et mon cœur ne fit qu'un bond dans ma poitrine lorsque je vis Mouse et ses deux copines se tenir juste à l'extérieur de ma cellule, des regards mauvais sur leurs visages. Mouse et l'une des femmes entrèrent, laissant la troisième à l'extérieur de ma cellule pour surveiller le hall.

 

Je les regardai toutes deux avec circonspection, légèrement soulagée de voir que leurs mains étaient vides. Mes yeux balayèrent ma cellule à la recherche d'une arme, mais, bien sûr, il n'y en avait aucune à trouver. Elargissant mes épaules du mieux que je pouvais, je pris une profonde inspiration et je leur fis face, regardant Mouse droit dans les yeux

 

"On dirait bien qu'on te tient, morveuse. Ta petite… amie… Corinne ne peut pas sortir de sa grotte, tu sais. C'est pourquoi nous l'appelons la Chauve-souris." Mouse releva sa tête, son sourire s'élargit. "Peut-être qu'on doit aussi t'appeler comme ça, hein ? Tu en connais un rayon sur les chauves-souris, hein."

 

" Qu'est-ce que tu veux ? "

 

Les yeux de Mouse s'écarquillèrent de surprise simulée. " Veux ? Qu'est-ce que je veux ? " Se tournant, elle poussa sa partenaire dans les côtes. " Hé, Shorty, elle veut savoir ce que nous voulons. "

 

Shorty (=la courtaude), qui portait son nom à la perfection, rit simplement, découvrant une bouche où il manquait quelques dents.

 

Mouse fit un pas menaçant dans ma direction, ses grandes mains prêtes à cogner et les leva au niveau de la taille. " Bien, blondinette, je présume que ce que je veux, c'est mon dû. Tu vois, tu as brisé les règles l'autre jour. Et quand tu brises les règles, tu dois en payer le prix." Haussant ses larges épaules, Mouse essaya de paraître triste, mais elle échoua lamentablement, la lueur diabolique dans ses yeux verts la trahissant. "Je voudrais que ça puisse être différent, entre toi qui es comme un mignon petit poisson et moi et tout, mais..."

 

Avant même que j'aie la possibilité de me défendre, Mouse balança un sacré coup de poing dans mon estomac, vidant mes poumons dans un horrible sifflement. Le sandwich au thon et le thé menacèrent de faire un retour rien moins que gracieux dans le monde extérieur et ma gorge se serra fortement contre le flux de bile qui s'élevait vers elle tandis que mes yeux refoulaient des larmes de douleur.

 

Comme je me pliais en deux, mes bras croisés sur mon ventre, un autre coup de poing percuta mon nez, me faisant voir trente six chandelles. Du sang coula quand je redressai ma tête, déchirée par la douleur. Mes genoux se révoltaient contre le mauvais traitement, se dérobant sous moi, mais ma chute fut stoppée par Shorty, qui m'attrapa sous les aisselles tout en me donnant un coup de genou dans les reins.

 

J'ai dû crier, bien que je ne m'en souvienne pas vraiment. Tout ce dont je peux me souvenir c'est un autre coup de poing dur comme le roc qui se fraye un chemin vers ma pommette droite.

 

Cette fois, je fus autorisée à tomber, et je tombai, en un tas disgracieux sur le sol, utilisant mes bras pour protéger ma tête du mieux possible. Les deux me tombèrent dessus à coups de pieds et de poings, ce dont je ne me souviens pas.

 

Ensuite, le son dont je me souviens clairement est celui d'un autre coup de pied dans la chair, mais cette fois, ce n'était pas la mienne. Ensuite vint le bruit d'une gorge qui s'éclaircissait doucement et en même temps, mes ravisseuses qui reculaient, se redressaient et respiraient difficilement après leurs exercices dépravés.

 

Mes yeux gonflés étaient presque fermés et ma vue était troublée par des larmes, mais je réussis à les ouvrir suffisamment pour voir une assez petite femme avec de longs cheveux sombres et une très forte musculature. Elle souriait et son avant-bras puissant écrasait la gorge du troisième membre de ma soirée raclée. "Salut Mouse, comment ça roule ?"

 

Mouse frotta le dos de sa main contre son nez. Il devint rouge sang, mais c'était mon sang qui gâtait sa peau pleine de taches de rousseur. "Ca te regarde pas," dit-elle, mais sa voix paraissait effrayée.

 

"Bien sûr que si," observa la femme brune sur le ton de la conversation. "Vous étiez en train de rosser une amie de Corinne, et tu sais que c'est contraire aux règles, Mouse."

 

"J'encule les règles ! On l'avait vue en premier ! Ca fait que cette petiote est à nous !"

 

La femme inclina la tête, relâchant un peu la prise sur la gorge de la troisième femme quand elle l'entendit suffoquer. "Elle aurait été à vous, Mouse, si tu avais été juste un petit peu plus rapide. Le fait est, pourtant, qu'elle a trouvé la bibliothèque, et cela la met à l'abri de toi et de ton gang." Relâchant sa prise sur la gorge de la troisième femme, elle lui retourna le bras derrière son dos et poussa, forçant son attention. "Ecoute-moi bien, Mousie. Je te le donne pour rien. Tu voulais ton dû, on va dire qu'on est à égalité, ok ? Je ne gagne rien à casser le bras de ton amie ici, d'accord ?"

 

La troisième femme suffoqua à nouveau sous la pression de plus en plus forte sur son bras. "Viens, Mouse. Dis que tu laisses tomber, ok ? S'il te plaît ?"

 

Après un long moment, Mouse inclina la tête pour accepter, essuyant à nouveau son nez et sortit de ma cellule, passant au large de la femme brune. "Bien. Mais tu n'as pas fini d'en entendre parler." Mouse se tourna vers moi, les yeux pleins de haine. "Toi non plus, morveuse. Tu ne sauras pas comment, ou quand, mais ça arrivera." Agrippant ses deux complices, Mouse sortit.

 

Affichant un sourire ténébreux et ses mains brossant ses vêtements, la femme entra dans ma cellule et m'aida à me remettre sur mes pieds. Essayant très fort de ne pas sangloter, je me pliai en deux à nouveau, tenant mon ventre lorsque des spasmes de douleur me terrassèrent. De mon nez s'échappait une coulée de sang sur le carrelage et ma tête et mes reins étaient douloureux comme des dents gâtées.

 

Mon sauveteur tira la couverture de ma couchette et déchira une bande dans le drap élimé qui était dessous. Le trempant dans l'eau froide du lavabo, elle pencha ma tête en arrière et appuya le tissu froid contre mon nez. Puis elle prit ma main et la plaça sur le tissu. "Garde ta tête en arrière et appuie. Le saignement devrait stopper dans quelques minutes."

 

"On dirait que tu as déjà fait ça avant," murmurai-je.

 

"Quelques fois, ouaip." Elle jeta un coup d'œil à mon corps meurtri avant de poser une main douce sur mon épaule. "Ecoute, je ne pense pas que tu sois trop mal. Ce n'est pas que je n'aimerais pas rester dans les parages et surveiller, mais je ne peux pas. Ca ne donnerait rien de bon pour toi. Tu dois forger ta propre réputation ici et cela implique que tu dois prendre tes marques comme nous toutes. Mes amies et moi allons essayer de faire en sorte que les choses n'aillent pas trop mal pour toi, mais tu dois apprendre à rester debout par toi-même, d'accord ?" Sa voix était douce, ses yeux amicaux. "Nous ne pouvons pas faire ça pour toi, et tant que tu ne l'auras pas fait, des choses comme celle-ci seront ton lot quotidien."

 

Ses mots étaient pleins de bon sens et j'acquiesçai, tressaillant de douleur.

 

La femme sourit. "Bien. Je savais que tu étais une battante. Ecoute, dès que cette hémorragie est arrêtée, descend dîner, d'accord ? Je sais que tu ne dois pas avoir faim, mais ça ferait du bien à Mouse et à ses groupies de voir que tu n'es pas si facilement effrayée. Je vais descendre maintenant et je vais réserver une table sûre pour que tu t'assoies, ok ?"

 

J'acquiesçai à nouveau. "Merci de m'avoir aidée."

 

Souriant d'un air désinvolte, la femme brune esquissa un salut. "Je t'en prie."

 

Comme elle se tournait pour partir, je la rappelai. "Attends ! S'il te plaît ! Quel est ton nom ?"

 

Le sourire canaille revint. "Elles m'appellent Pony."

 

Bien que je l'ignorais alors, je venais de rencontrer ma première Amazone.

 

Dans les mois et années à venir, j'allais apprendre beaucoup de choses sur ce gang mythique. C'est quelque chose comme une société secrète, se composant des meilleures des meilleures et se faisant le devoir sacré de protéger les détenues. Les Amazones s'assuraient que les autres gangs ne prenaient pas le contrôle de la population carcérale, mettant ainsi en danger à la fois les détenues et les gardes. Si un leader en particulier avait besoin d'être renversé et neutralisé sans déclencher une émeute, les Amazones exécutaient le travail. Si un nouveau poisson comme moi arrivait à avoir la chance de devenir une amie des Amazones, nous étions protégées, jusqu'à un certain point.

 

Ce qui faisait que les Amazones étaient si respectées, c'est qu'elles n'essayaient pas de prendre le contrôle des autres gangs ou des détenues. Mais elles s'assuraient que chacune respectait les règles. Encore mieux que ma nouvelle amie Corinne, elles étaient dangereuses et impitoyables, mais elles pouvaient aussi être attentionnées et prévenantes, apportant leur aide à celles qui en avaient besoin. Une chose était connue à leur sujet aussi sûre que le soleil se lève à l'est. Vous ne deviez pas contrarier les Amazones.

 

En tout cas, le matin suivant, j'allai à la bibliothèque avec deux impressionnants yeux au beurre noir et une nouvelle attitude concernant mon incarcération au Bog. Corinne me regarda avec un sourire entendu et m'envoya dehors, en vitesse, pour commencer mes leçons de self-défense.

 

Le terrain d'exercice est idéal pour l'étude de la ségrégation raciale. Il est bordé sur les quatre côtés par un mur de cinq mètres de haut coiffé par un barbelé acéré formant des boucles hérissées de pointes enroulées au sommet. Les tours des gardes, avec leurs fenêtres réfléchissantes qui reflètent l'activité sur le terrain avec une introspection bienveillante, postaient des sentinelles à chacun des quatre coins.

 

A l'intérieur de l'espace délimité par la barrière se trouvent les équipements sportifs de plein air destinés aux détenues. Un terrain de football avec une pelouse couverte de mauvaises herbes occupe presque la moitié de la surface. Près du bâtiment principal se trouvent un terrain de base-ball en béton fissuré et de hauts panneaux portant des paniers de basket rouillés et sans filets. Tout contre la prison proprement dite s'étend le grand carré de ciment qui constitue la zone de body-building en plein air. Des banc de musculation, au rembourrage en vinyle déchiré et taché par les éléments, sont placés là, rarement vides de compagnie. D'énormes piles de poids en fer, des colliers de serrage, des disques et des barres, leur brillant écaillé depuis longtemps, reposent là en attendant qu'une main enthousiaste les soulève, les pousse ou les développe. Un grand sac lourd, rempli de cendres, pend au bout d'une grosse chaîne accrochée à un surplomb du bâtiment principal, sa toile blanche souillée par des centaines de poings rageurs.

 

Les blanches se tiennent habituellement sur le terrain de football, tandis que les noires utilisent le terrain de basket comme aire de réunion. Les hispaniques et les asiatiques s'emparent de tout petit emplacement déserté. La zone de body-building est le seul endroit dans toute la prison, à l'intérieur comme à l'extérieur, où tous les groupes se retrouvent, si ce n'est en paix, du moins avec une sorte de compréhension réciproque. On considére comme une grave entorse à l'étiquette de la prison de se montrer agressif dans une zone où des armes sont accessibles et étalées avec autant d'évidence. Et, bien sûr, les Amazones maintiennent cette zone sous leur dépendance, préservant la paix ténue qui y régne et distribuant les punitions à celles qui sont assez stupides pour briser les règles.

 

Les jours de la semaine, chaque bloc de cellules est envoyé sur le terrain pour une heure d'exercice, pour parler, faire des affaires ou tout ce que des femmes vivant ensemble par la force des choses peuvent avoir à faire. Mon bloc de cellules portait la lettre "E" et ainsi, ces cinq dernières années, l'heure de onze à douze a toujours été associée au grand air.

 

Je peux encore me souvenir de la première fois où je suis sortie, l'odeur de neige dans l'air hivernal, la douleur sourde dans mon ventre après la rossée que j'avais prise la nuit précédente, l'élancement insistant de mon nez et les battements de mon cœur à chaque pas.

 

C'était comme si tout le monde sur le terrain entier, les prisonnières comme les gardiennes, me regardait et riait. En vérité, il est plus que probable que personne ne me portait une telle attention, mais tandis que j'avançais, glacée comme une biche sous le regard du chasseur, la relative sécurité de la chaude brique du bâtiment principal de la prison dans mon dos, il me semblait que le monde entier s'amusait à mes dépens.

 

Je pouvais entendre le bruit du caoutchouc crissant sur le béton qui se mêlait aux cris venant du terrain de basket-ball. Le solide 'crac' d'une balle bien frappée filtra jusqu'à mes oreilles et je regardai en haut, mes yeux suivant l'arc gracieux d'un ballon, jalouse de sa liberté de monter en flèche pendant que je restais là, blessée, clouée au sol, et sous les verrous. Les sons plus proches de grognements vinrent à moi alors que des femmes trempées de sueur mesuraient leurs forces contre du métal inflexible, et les bruits de l'acier contre l'acier s'ajoutaient à la cacophonie des sons qui s'affrontaient dans ma tête pleine d'élancements.

 

Prenant plusieurs inspirations profondes et essayant de rassembler mes pensées éparses, je me poussai finalement moi-même loin de la sécurité du bâtiment derrière moi, et je marchai sans but précis. Mes pas me conduisirent inconsciemment vers le centre de la zone franche et lorsque je levai les yeux, je vis, avec un profond sentiment de soulagement, mon sauveteur de la nuit précédente. Elle se tenait derrière un banc horizontal bas, riant et prodiguant des encouragements à ses amies qui s'entraînaient et luttaient pour soulever de leur poitrine ce qui me semblait être un poids surhumain. Une petite femme, mince et portant une masse de boucles dorées tombant en anglaises autour de sa tête, eut une lueur de triomphe dans ses yeux et se pencha pour chatouiller le ventre musclé et exposé de la femme allongée. Avec un cri, la femme qui soulevait les poids finit de lever la barre, la posa sur les crochets au-dessus de sa tête et sauta sur ses pieds, attrapant la blonde par le cou. Avec un large sourire, Pony sépara les deux combattantes hilares, qui firent semblant de lui donner de grandes claques sur son corps musclé.

 

Mes pieds stoppèrent de leur propre volonté et comme je fixais la scène devant moi, pleine de camaraderie joyeuse, cela me montra, pour la première fois, exactement où j'étais et ce que j'avais abandonné. Des larmes d'apitoiement sur moi-même brouillèrent ma vue tandis que je regardais les trois amies qui riaient, mon âme jalousant cette marque d'affection d'un autre humain ou même un sourire exempt d'évaluation insolente ou de froid calcul.

 

Avant mon mariage malheureux, je n'ai jamais été sans amis. Extravertie et grégaire, il n'y avait pas une personne parmi celles que je rencontrais que je ne trouve pas agréable ou, au minimum, fréquentable. Je m'étais toujours entourée de gens et, pour être honnête, j'étais ravie d'être le centre de l'attention.

 

Maintenant j'étais un tout petit plancton flottant dans le vaste océan et entouré de requins voraces. C'était probablement affiché sur mon visage paré des couleurs de l'arc-en-ciel parce que Pony choisit ce moment pour lever les yeux de la mêlée, me fixa dans les yeux, puis sourit légèrement et me fit signe. Il est difficile de décrire le sentiment de profond soulagement qui me traversa à ce simple geste, mais mes pieds reprirent leur progression d'un pas moins pesant que le précédent et je réussi même à lui retourner son sourire.

 

"Salut, gamine," grommela Pony quand je m'approchai. "Ouaouh ! Chouette visage."

 

"Ouaip. Le look fraîchement roué de coups fait rage ces jours-ci."

 

Bien que maladroite, c'était la première blague que j'avais tentée depuis des mois, et je me sentais bien mieux. Les autres rirent à ma tentative, puis redevinrent sérieuses lorsque je me tournai vers Pony. "Je... hum... voulais te remercier... encore... pour ton aide hier." Je pus sentir que je rougissais tandis que j'étudiais le sol à mes pieds, me sentant comme une adolescente maladroite sans raison précise. Prenant une autre inspiration profonde, je me forçai à lever les yeux pour croiser le regard légèrement amusé, mais bienveillant, de ma bienfaitrice. "Et je... hum... me souviens de ce que tu m'as dit la nuit dernière. Je veux apprendre à me défendre moi-même."

 

Un sourire amical fendit le visage de Pony. "Ouais ? C'est super ! Bien que maintenant ne soit probablement pas le meilleur moment pour apprendre."

 

"Mais pourquoi non ?"

 

Pony fit un geste en direction de mon corps endolori. "Tu dois attendre jusqu'à ce que tu guérisses un peu d'abord."

 

"Et si je ne peux pas me permettre d'attendre ? Et si elles attendent aux alentours pour finir le travail ?" Cette idée avait fait que la dernière nuit avait été sans sommeil.

 

"Ne te fais pas de souci à ce sujet. Elles se tiendront à distance. Pendant un petit moment au moins."

 

"Comment peux-tu en être aussi sûre ?"

 

Le sourire de Pony devint plein de suffisance. "J'ai mes méthodes."

 

Ma gorge se contracta. "Ouais," répondis-je faiblement, "Je suppose que oui."

 

"En tout cas, laisse-moi te présenter à mes amies. Elle," dit-elle, en esquissant un geste en direction de la brune qui poussait la fonte, "c'est Sonny. Et la blonde ici c'est Critter (NDLT critter = créature)."

 

J'inclinai la tête solennellement vers elles deux, essayant désespérément de ne pas rire au nom qui avait été donné à la femme blonde. Elle dut remarquer l'expression de mes yeux, parce que son sourire amical se transforma en mine renfrognée et elle simula un coup de poing sur mon épaule. Pour rire ou non, cela fit mal et je frottais maintenant un autre endroit sur mon corps, résolue à garder mes pensées pour moi à partir de maintenant. "Mon vieux," marmonnai-je à voix basse, "les créatures sont coriaces."

 

"Tu ne t'étais pas trompée, gamine." La causticité des mots était adoucie par le retour du sourire de Critter qui faisait passer son visage de maussade à splendide. J'étais attirée par lui, tandis que la sensation floue de le reconnaître me traversa tout à coup en voyant ce sourire.

 

J'étais sur le point de demander si nous nous étions rencontrées auparavant lorsque je remarquai que la zone autour de moi était devenue complètement silencieuse. Même les oiseaux de cette fin d'automne avaient cessé leur jacassement depuis les arbres situés de l'autre côté de la barrière. Mes trois nouvelles amies se détournèrent soudain de moi, leurs corps figés dans une attitude de respect.

 

Entre leurs corps étroitement serrés, je pus voir une femme marchant vers nous à grandes enjambées, presque royale. Elle semblait n'être que légèrement plus grande que moi (et je peux vous dire, si ce n'est déjà fait, que je suis de petite taille), avec de long cheveux si sombres qu'ils en étaient presque noirs et des yeux sombres, intenses. Son merveilleux visage était sans expression, pourtant elle semblait dégager la puissance et la confiance en égales mesures. Je me trouvai en train d'essayer activement de ne pas faire la révérence lorsqu'elle s'arrêta devant mon petit groupe, l'effet qu'elle produisait sur moi étant tellement fort.

 

Comme si elle lisait dans mes pensées, Critter fit la révérence, en quelque sorte, inclinant sa tête en signe de respect. "Bon après-midi, Montana."

 

"Bon après-midi, Critter. Mesdames." Regardant derrière elles, la femme posa les yeux sur moi. Je peux encore ressentir son regard s'insinuant activement à l'intérieur de mon crâne, extirpant tous mes secrets et les classant pour un usage ultérieur. "Et tu es ?"

 

Elle devait avoir pris ma voix avec elle parce que je ne pouvais absolument pas répondre, tant j'étais prise au piège de ses yeux sombres.

 

Me voyant en situation délicate, Pony vint encore une fois à mon secours, me présentant à l'impressionnante femme. Montana sourit et inclina la tête, me libérant de son regard. "Tu es celle que Pony a sauvée des Mousquetaires alors ?"

 

J'avalai ma salive avec beaucoup de difficulté et je m'éclaircis la gorge avant de finalement retrouver ma voix. "Oui, M'dame. C'était moi."

 

A ces mots Montana me sourit, même si cela se résumait à légèrement relever un coin de ses lèvres pleines et soulever un sourcil. "J'aurais aimé en entendre plus sur cette histoire, mais je crains d'avoir besoin de ces trois là. Tu veux bien nous excuser ?"

 

Normalement, j'aurais dû me sentir humiliée d'être congédiée si facilement, mais quelque chose dans les yeux de la femme fit que cette demande me parvint presque comme un honneur qui m'était fait, aussi j'acquiesçai et quittai le groupe. Mon départ fut stoppé par une main douce sur mon bras et lorsque je me retournai, Pony me souriait. "Accorde quelques jours de repos à ton corps. Tu devrais être en forme ce week-end. Rejoins-nous ici samedi vers midi et nous commencerons ton entraînement, d'accord ?"

 

Je sentis mon sourire menacer de faire disparaître tout mon visage. "J'y serai ! Merci !"

 

Un large sourire canaille éclaira le beau visage de Pony. "Pas de problème. A bientôt, gamine."

 

"Salut, Pony."

 

Mon retour dans l'enceinte de la prison se passa comme si je flottais dans les airs.

 

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